AUJOURD’HUI J’AI APPELÉ MA MÈRE

Par Bob Oré Abitbol
Aujourd’hui j’ai appelé ma mère ! Elle ne m’a pas répondu ! Elle devait être occupée à autre chose de plus important.

Lorsqu’un de ses fils ou sa fille l‘appelait autrefois, elle laissait tout tomber pour écouter la voix de l’enfant chéri, pour avoir des nouvelles de chacun de nous, pour se sentir soutenue, protégée par notre force, notre amour, pour nous rassurer, nous bénir, nous complimenter, nous rabrouer aussi au besoin !

Mon cœur s’est serré très fort et j’ai compris aujourd’hui pour la première fois, après huit ans d’absence, que je ne lui parlerai plus, que je ne la reverrai plus.

J’aurai beau évoquer sa voix, ses gestes, ses yeux, son visage tout entier, l’imaginer en train de rire, de parler, de raconter ses histoires à sa manière si vivante, si singulière et tellement drôle, je ne la reverrai plus !

Je ne pourrai plus lui dire ni mes petits ni mes grands chagrins, ni mes tourments ni mes joies, ni mon amour ni ma tendresse non plus. Ni surtout mon besoin d’elle !

Car elle savait écouter, prendre le temps de la réflexion , me conseiller sagement.

Elle seule avait ce pouvoir.

Elle seule savait le faire de cette façon-là, ferme et tendre à la fois !

Tout me manque d’elle : le goût de sa cuisine, sa présence formidable, elle, le ciment de la famille, elle : la famille.

Sa façon d’être et de se conduire : intègre et authentique en tout ! Sans artifices, sans prétentions, sans fausse modestie non plus : elle-même, envers et contre tout ! Envers et contre tous ! N’ayant peur de rien ni de personne sinon de Dieu qu’elle considérait, qu’elle aimait sincèrement et qu’elle respectait comme quelqu’un de bien et d’honorable…à l’égal de son père qu’elle vénérait !

Philosophe, psychologue, pédagogue, docteur, infirmière, chef étoilé (j’ai encore dans la tête, dans mon âme et dans mon cœur sans parler de mon estomac reconnaissant, la saveur exquise de certains de ses plats) professeur, conseillère, mère en un mot, elle était tout cela et plus encore à la fois selon le temps et ses humeurs !

Nous pensions, car elle nous le faisait croire dur comme fer, que nous nous aimions, que nous ne pourrions jamais nous passer l’un de l’autre, que nous resterions, mes frères et moi, unis, quoi qu’il arrive, quelles que soient les circonstances, quelle que soit la distance entre nous ! Que ce qu’elle avait créé à force de plats savamment cuisinés, de fêtes, de lumières, d’anniversaires, de réunions hebdomadaires, de shabbat, d’amour, de tendresse aussi, résisterait au temps et à son absence.

Elle comptait sur moi ou sur l’un ou l’autre de ses fils pour le faire. Elle avait confiance en nous ! En certains d’entre nous du moins ! Elle s’était trompée, comme se trompent souvent les mères de ce côté-là.

Personne n’est plus là pour faire disparaitre les distances, pour effacer les malentendus, pour panser les petites et les grandes blessures et les egos démesurés aussi, comme elle savait si bien le faire.

Tout le monde pense toujours avoir raison !

– C’est lui ! c’est pas moi ! C’est lui qui a commencé !

Comme lorsqu’on était enfants et que c’était toujours la faute de l’autre !

La mère, ce personnage si formidable et si présent toute notre vie durant, jusqu’à la mort, notre mort !

C´était une personnalité hors normes ou plus exactement un personnage. Il émanait d’elle malgré sa taille, une autorité, une assurance guidée par sa moralité et sa dignité de femme pure dans tous les sens du terme.

À la mort de mon père, parti prématurément, c’est elle qui avait repris le flambeau et assumé seule la survie et l’envol de sa nombreuse progéniture qu’elle aimait plus que tout. Elle était tellement sûre de nous, tellement sûre de nous, que nous ne pouvions pas faillir du simple fait de sa seule volonté.

Je la pleure aujourd’hui plus qu’au moment de son départ définitif. Je ne me rendais pas compte à ce point de ce que l’absence peut faire ou défaire. Parfois, c’est bien plus tard qu’on se rend à l’évidence !

Je me retourne et je ne vois que des images heureuses de nous : le visage hilare de mes frères et sœur, le regard attendri de ma mère, le doux sourire de mon père, des photos de naissances, de communions, de mariages, d’anniversaires, de fêtes, de rires, de chansons où elle organisait tout naturellement, comme s’il était « normal » ou « naturel » de faire à diner pour dix ou cent personnes, comme ça, sur le pouce. Des photos de plage, au temps heureux où notre père, cet homme si doux, si gentil et si humain était encore vivant, avec, toujours, un soleil omniprésent en arrière-plan ! Des souvenirs de voyages à Venise, à Paris, à Monaco, à Jérusalem, ou encore à un retour nostalgique dans sa ville natale.

Comme si la vie, la jolie vie, filtrait et gardait avec intelligence et finesse les moments de bonheur et laissait échapper par miracle, comme avalés par le temps et l’oubli, les moments de tristesse, de malheur et de pluie !

Sans nos parents et notre mère en particulier, nous sommes comme des cerfs-volants ballotés par le vent. C’est elle qui tient la corde, elle, qui nous guide même de loin et c’est toujours elle qui nous fait danser au rythme sublime de son amour et de sa tendresse ! Orphelins, nous devenons des funambules sans filet ! Des cerfs-volants  déboussolés, déconnectés  !

Je ne savais pas qu’elle me manquerait à ce point-là, comme un premier amour, le seul, le vrai, celui qui a vraiment compté pour nos cœurs vierges et purs.

Elle est partie, radieuse, sans souffrir mais c’est nous qui souffrons aujourd’hui et c’est nous qui l’appelons au secours pour nous rendre, l’espace d’un baiser, la douceur d’une caresse, le temps d’un soupir, un peu de notre innocence, un peu de notre candeur, un peu de notre enfance, un peu de notre jeunesse, un peu aussi de notre insouciance.

Et toi Maman comment vas tu ?

On te traite bien là où tu es ?

Je suis sûr que tu dois les faire rire comme tu faisais rire aux larmes si j’ose dire, ces familles endeuillées que tu venais voir en pleurs et que tu laissais rassérénées et presque joyeuses à ton départ ! Tu leur apportais une note d’espérance, un accent de jeunesse et de vie, une note de gaité et de folie douce dans leur tristesse et leur morbide solitude et c‘est comme si, d’un seul coup, dans l’hiver glacé de leur détresse, tu faisais apparaître, par magie, un printemps souriant et ensoleillé, un arc en ciel de bonheur éphémère…et salvateur !

Toi qui parlais à Dieu tous les jours, t’écoute-t-il à présent que tu es si proche de lui ?

De ton vivant tu ouvrais grand les fenêtres qu’il pleuve ou qu’il vente et tu lui parlais comme à un ami, comme à un frère, comme à un père. Tu n’avais pas peur de « Lui » au contraire, tu plaisantais avec « Lui» , tu « Lui » racontais tout et n’importe quoi comme au meilleur de tes confidents, comme à l’ami le plus intime et tu croyais si fort en « Lui », qu’il est impossible im-po-ssi-ble qu’il n’existât pas, qu’il ne soit pas là en chair et en os et qu’il ne t’attende pas de pied ferme pour écouter tes dernières anecdotes !

Peux-tu le faire intervenir en notre faveur ? Qu’il nous donne la grâce, la patience, la sérénité, la réussite, la santé et des millions et des millions de dollars !!!

Qu’il fasse cesser toutes ces guerres si terribles, si cruelles, si inutiles ? Qu’il fasse que la paix règne une fois pour toutes dans ce désordre épouvantable qu’on appelle la vie ? Et qu’il nous donne à nous et à nos proches, je le répète, des millions et des millions de dollars ! (…et surtout pas à nos ennemis !)

As-tu ce pouvoir ?

A-t-il ce pouvoir ? Cette volonté devrais-je dire ! Ou bien a-t-il délégué à l’homme et à la femme la capacité de décision et « Lui » reste simple spectateur-observateur, ni présent ni absent, de notre univers, de notre humanité déshumanisée, écartelée, décomposée et si belle ? Si fière et si pleine d’elle même ! Si sublime et si dérisoire ! Si désuète et si grandiose !

Dis-moi maman ? As-tu des compagnons ? Des amis ? Des amies ?

Chantes-tu parfois ? Est-ce que tu célèbres les fêtes comme ici sur terre toi qui aimais tellement cela ?

Existe-t-il vraiment des harpes et des violons, des grands rabbins à barbe blanche, des anges surnaturels qui vous surveillent comme un troupeau de moutons sur de beaux nuages blancs ?

Je me le demande !

As-tu pu voir Papa ? Tes parents ? Tes frères ? Et ta fille ? Ta petite Jacqueline chérie que tu as perdue si jeune alors qu’elle n’avait que quatre ans et que tu as pleurée ta vie durant. L’as-tu enfin retrouvée ?

Son prénom que tu prononçais de façon sacrée est la dernière parole que tu as murmurée avant de partir vers l’autre monde auquel tu croyais si fort.

Je pense sincèrement qu’à la fin tu avais vraiment hâte de la rejoindre.

Et nous ?

T’es-tu demandée ce que nous allions devenir sans toi ?

Tu as lâché tous tes enfants pour elle que tu as toujours aimée plus que nous tous, parce qu’elle avait disparu trop tôt, beaucoup trop tôt, sans que tu profites d’elle, de sa beauté légendaire, de son intelligence hors du commun, de son charme et de sa sympathie !

Ainsi de ceux qui partent !

La mort est une chose bien étrange et bien égoïste au fond !

Finis les problèmes, les soucis, salut la compagnie, au revoir et merci !

Voici huit ans que tu es partie et je pense à toi tous les jours, que je pleure ton absence et évoque ta belle présence si pleine et si joyeuse.

Et toi dans quel univers vis-tu ?

Peux-tu revenir ici juste un peu ? un tout petit peu ! Pour un jour ? Pour une heure ? Une minute ? Juste le temps de me serrer contre toi une ultime fois, le temps de te dire un dernier je t’aime, le temps de te dire un dernier adieu !

Aujourd’hui j’ai appelé ma mère, quand me répondra-t-elle ?

 

Bob Oré Abitbol

 

boboreint@gmail.com