Femmes je vous aime

Par Jean-François Bélisle

« La première fois que j’ai déclaré cela à ma blonde, elle a avalé de travers et m’a soudainement regardé comme si j’avais pris trop de soleil. Pourtant, je pèse chacun de ces mots : femmes, je vous aime parce que vous êtes le salut d’un monde que les hommes sont en train de bousiller… »

Il a fallu que je lui explique calmement qu’être un homme à femmes ne signifIait pas, dans mon cas, faire collection de sous-vêtements ou tenter de charmer chaque jolie dame qui croise ma route. Ce que je voulais dire par là, c’est que la présence d’une femme me réconcilie avec une certaine idée de la dolce vita.

Pour mieux comprendre, il faut observer le visage d’une femme qui s’abandonne à son plaisir dans une discothèque surchauffée. C’est comme si elle se délestait tout à coup de l’horrible poids qu’elle porte sur ses frêles épaules : le poids du monde.

Ce qui me touche chez les femmes, c’est la beauté du paradoxe entre leur fragilité et leur force. Cette dimension de la personnalité féminine me captive et me charme; ce n’est pas du paternalisme, c’est de l’admiration pure et simple.

Mes amitiés viriles dans tout ça ? Oh, j’ai de bons amis, mais l’énergie est très différente. L’ennui, c’est qu’entre gars, on se sent souvent obligés de faire « quelque chose ». Se dire qu’on a simplement envie de se voir n’a rien d’évident, et peut même paraître suspect si l’on n’a pas un bon motif. Entre nous, nous jonglons avec des prétextes qui ne servent qu’à camoufler notre pudibonderie.

J’ai certains copains en face desquels j’hésite à simplement avouer que je suis heureux de les avoir dans ma vie. Je sais, c’est bête.

Chez les filles, c’est autre chose. On n’a qu’à penser à deux adolescentes de quinze ans : elles se font une fête de se réfugier dans la chambre de l’une d’elles pour comparer leurs expériences, s’émouvoir, se faire des confidences, rire aux éclats ou se réconforter. Les ados mâles ont parfois besoin d’un nouveau gadget techno, d’un jeu vidéo ou de magazines de Formule 1 pour se rapprocher, pour réduire la distance entre eux et leurs feelings.

Ce qui me bouleverse aussi, chez les femmes, c’est la qualité de leur silence. Une sorte d’acuité impalpable qui leur est propre, et que d’aucuns décrivent comme des « antennes »; le fameux sixième sens. Une femme intelligente qui se tait me captive souvent davantage qu’un homme qui s’exprime. Souvent, vos silences parlent, vibrent et nous remuent. Mais nous sommes trop orgueilleux pour vous le dire.

Mon tiède intérêt envers mes pairs tient peut-être à cette idée très galvaudée voulant que le cerveau des hommes fonctionne à la manière d’un télescope et celui des femmes selon le principe du radar. Personnellement, je préfère le radar.

Un fait est aisément vérifiable. il s’agit de cette étonnante faculté que possèdent les femmes de pouvoir faire plusieurs choses à la fois. Ça n’a rien d’un mythe, croyez-moi. Dans la même minute, elles sont capables de cuisiner, de parler au téléphone et de faire des signes au plus jeune qui jette sa nourriture par terre. elles ont une conscience très développée de ce qui se passe autour d’elles.

À l’inverse, les hommes fonctionnent de manière sélective et discriminante. Ils vivent une fixation à la fois. Alors que madame arrive à jouer les pieuvres comme Bach jouait un concerto, monsieur a les yeux rivés sur son journal, l’esprit plongé dans quelque opération mentale qui mobilise ses énergies du moment.

Les femmes m’émeuvent parfois, me touchent souvent et m’intéressent toujours. J’ai le bonheur et le privilège d’être l’ami de femmes sensées, réceptives, mûres, capables de discernement au sujet de ce que je vis. Par-dessus tout, j’adore leur présence, autant lorsque ça va mal que quand ça va bien. Femmes, je vous aime !

Alors que les hommes avancent souvent par secousses, les femmes, elles, fonctionnent un peu comme des coureuses de fond. Elles n’aiment pas se dépenser trop d’un seul coup et, en fin de compte, elles ne sont pas tuables. Notre énergie à nous est « brute ». Nous répartissons autrement nos forces, nous passons notre temps à appuyer alternativement sur l’accélérateur et le frein. Notre vitesse ne demeure pas constante bien longtemps. Notre dépense énergétique s’apparente parfois à une course de formule 1 : freine, accélère, freine, accélère…

Des exemples ? Qui attrape le plus souvent des contraventions pour excès de vitesse ? (besoin d’accélérer) Qui doit absolument « s’écraser » devant la télé après une dure journée de travail ? (besoin de freiner). Qui perd la tête au beau milieu d’une partie de Scrabble ou de Monopoly parce que ça n’avance pas ? Bien sûr, notre énergie vitale n’est que le reflet de nos caractéristiques sexuelles. C’est en flèche que les hommes voient monter leur excitation sexuelle; ce n’est pas pour rien que les thérapeutes en aident certains à prendre conscience de l’existence de paliers du désir.

L’autre jour, ils ont repassé Rocky à la télé. Obtenant la chance inespérée d’affronter le champion du monde, Rocky a soudainement du feu dans les yeux. il se lève à quatre heures du matin, avale six œufs crus, se met à courir dans les rues désertes alors que tout le monde dort encore. Face à son destin, il grimpe des marches deux à deux, et, rendu tout en haut, se retourne : à ses pieds, la ville de Philadelphie à laquelle il chuchote : « À nous deux, ma vieille…

Gonflé à bloc après avoir vu le film, j’ai bondi de mon lit à l’aube pour aller me dépenser. J’ai grimpé le Mont-Royal comme si j’étais la navette Challenger. Comme Rocky, je me suis

retourné pour contempler la ville de Montréal au lever du soleil. J’ai crié, les bras en l’air : « À nous deux, ma vieille ! »

Le soir même, ma blonde était au lit de bonne heure, au terme d’une journée faite d’un million de petites tâches bien accomplies, en bon métronome qu’elle est. Ce soir-là, Rocky Balboa s’est glissé près d’elle dans le lit, plein de bienveillance, l’instinct protecteur en éveil.