Le bricolage de Madeleine

Par Fanny Tassé, Designer

1978. Je me souviens très bien du jour où j’ai reçu un 33-tours intitulé « Bricolons avec Madeleine » J’avais quatre ou cinq ans pas plus. Sur la pochette du disque, une jolie dame blonde à l’expression joyeuse m’invite à travers des indications précises et quelques chansons rigolotes, à faire des bricolages de toutes sortes. Ah ? Je me précipite sur mon tourne-disque Fisher Price et, l’oreille bien collée au minuscule haut-parleur, j’écoute attentivement ce que la dame me dit de faire. « Si Madeleine avait de la laine pour fricoter des mitaines…. » chante-elle. Vite ! Des crayons ! Du carton ! De la colle ! Vite ! Vite ! La farine et l’eau bien mélangées, je me lance à la fabrication de mon tout premier masque de Patof. Oh bonheur ! Je découvre les joies de la création. Je ne peux pas voir Madeleine. Le masque que je crée est celui qui prend forme dans ma tête. Pas dans la télévision. Je crée quelque chose qui est le fruit de mon imagination. Mon masque ressemblait-il à Patof ? Pas du tout. Patof ressemblait plutôt à un chat ou un à chien… écrasé. Peu importe, je venais d’entrer en contact avec la créativité. Ma créativité.

Quelques années plus tard, lors d’un anniversaire, je déballe avec joie une boîte contenant des centaines de petits morceaux colorés aux formes multiple : LEGO. Écrit en grosses lettres rouge sur le dessus de la boîte. Ah bon ! Et que suis-je supposée de faire avec ça ? Je ne peux pas les découper. Je ne peux pas utiliser de la colle (déception!). On m’explique alors que je peux, en les imbriquant ensemble, créer tout ce que je veux : une maison, un pont, un fort, etc. Oh ! Bonheur renouvelé !

Avec l’arrivée de LEGO dans mon enfance, viennent de grands questionnements fondamentaux qui régiront désormais toute ma vie : La fenêtre je la mets où ? Et la porte ? Ah non, pas là. Et les petites boîtes à fleurs rouges ? Et les jaunes ? Non, les jaunes là, les rouges ici. Beaucoup mieux ! Et le p’tit bonhomme ? Ah oui, le bonhomme. Il doit être capable de s’asseoir dans son salon et de passer par la porte d’entrée. Sinon, il ne sera pas heureux et confortable dans sa maison, le pauvre. Ça ne fonctionne pas. Je dois revoir ma construction. On défait tout, on recommence ! Facile quand il n’y a pas de budget à respecter.

Vient l’adolescence. Ce moment de la vie où notre chambre à coucher devient le bunker par excellence. Forteresse impénétrable par aucun membre de la famille (à moins d’une invitation très très spéciale), personne ne peux oser y déposer un orteil sous peine d’une crise pubertaire extraordinaire. Les murs de mon bunker sont à l’époque tapissés de posters de Michael Jackson, Duran Duran et Boy George. J’affiche mes goûts et ma personnalité. Mais je me sens un peu comme le p’tit bonhomme de mon jeu de LEGO. Je circule mal. Mon bureau de travail est mal placé. Mon lit est collé contre le mur. Et surtout, je me cogne toujours le gros orteil sur ma table de nuit. Ouille ! Allez hop ! On change tout de place et je sème la zizanie dans mon bunker : le lit sous la fenêtre. Non. En diagonal ? Surtout pas. La lampe de bureau ira à la droite. Comme je suis gauchère, fini les ombrages sur mon cahier. Grande découverte. Je veux que mon bunker soit gris avec des touches de rouge. Oui ! Le bureau sous la fenêtre ? Ça j’aime bien. Cela me permet de regarder dehors, donc, de ne pas me concentrer sur mes devoirs. Génial ! 25 ans plus tard, je m’amuse encore à tout déplacer dans la maison afin de trouver la façon la plus esthétique et la plus fonctionnelle de vivre dans mon espace. Et puis, tiens, j’en ai même fait mon métier ! À travers les expériences créatives de mon enfance, j’ai découvert un intérêt pour le design d’intérieur. Utiliser ma créativité afin de répondre à un besoin de fonctionnalité et améliorer la qualité de vie de l’être humain dans son espace de vie, de travail, de jeux, de détente…

De nos jours, la technologie nous permet de réaliser des choses fabuleuses, d’obtenir des informations en un clic de souris et une ouverture incroyable sur le monde. Mais la vraie créativité naît toujours, à mon avis, d’un bout de papier et d’un crayon qu’on remet à un enfant. Un clin d’œil particulier à Antoine et Lili Rose qui ont créé dans leur jardin une maison à escargots fabriquée avec des bâtons popsicles coloriés. Magique !

Mais au fait, qu’est-il arrivé à mon amie Madeleine ? Enquête.
« Pionnière des arts visuels, du design d’intérieur et de la communication au Québec, signataire du Refus global, ses réalisations sont nombreuses : le réaménagement des voitures de Via Rail, la décoration et l’aménagement de la flotte d’Air Canada, les aires publiques de la résidence du gouverneur général et de l’atelier du peintre Jean-Paul Riopelle, entre autres. Décorée de l’ordre national du Québec. »

Eh ben, c’est fou jusqu’où un masque de Patof peut mener… Chapeau Madame Madeleine Arbour !