14 Avr Gourou…Mets en vin !!
Par Michel Lavoie
Tous présument bien que mon louable travail et mon charitable plaisir à partager le divin liquide, engendrent parfois de fraternels sobriquets. Affectueusement transmises, ces délectables mentions honorifiques teintées d’humour et d’affection nous rappellent à quel point nous, les apôtres du vin (sommeliers) sommes choyés. Cette agréable sensation de travailler avec tous ces auditoires et ces ambiances plus que chaleureuses, sont tout simplement uniques et franchement « addictives ». Ces multiples et joyeuses rencontres défilant au gré des crus, m’ont apporté ce magnifique lot de beaux hasards millésimés que j’ai le privilège de vous raconter. C’est à travers un hommage méritoire consacré aux messagers de la divine bouteille, que j’ai souhaité vous faire l’éloge d’une aventure extraordinaire qui débuta ici, en ces terres, il y a plus de 30 ans.
L’origine de ce plus beau métier du monde qu’est devenu celui de sommelier et sommelière est une histoire étonnante qui remonte à un temps lointain appelé le Moyen Âge. Les nombreux périples engendrés par les aléas de l’histoire nécessitaient à cette époque une logistique imposante. Du vocabulaire provençal datant du 13e siècle, le « saumalier » avait la mission de superviser le transport des bêtes de somme. Plus tard, durant les premières grandes croisades, son rôle évolua vers la gestion du matériel et de l’intendance des vivres lors des déplacements seigneuriaux et militaires. En se rapprochant ainsi de la nourriture et de la table, il devint un acteur important lors des services de mise en table et surtout de mise en sécurité, car le goûteur officiel de ces nobles gens aussi nommé « échanson » servait à protéger des vies en cas de possible empoisonnement. Et finalement, le terme « sommelier » remplaça celui d’échanson officiellement en 1318 à la suite d’une ordonnance du roi Philipe V de France. Toute une promotion n’est-ce pas ?
Ici au Québec, l’art de la divine bouteille s’établit officieusement vers la fin des années ‘80 par la remarquable contribution de deux sympathiques cousins d’outre-mer qui un jour, venu s’installer en Amérique. Épicurien assumé, Jules Roiseux ou Maître Jules, comme on l’appelait familièrement, a été le premier grand ambassadeur du vin au Québec. Meilleur sommelier du Québec en 1963, et du Canada en 1981, il a été le tout premier chroniqueur de vin à apparaître sur nos écrans… de télé ! Auteur de plusieurs ouvrages littéraires comme « À la découverte du vin » (1981), « Les vins et les plats d’accompagnement »
(1990) ou « Les Fromageries par quatre chemins » (2002), sont apport fut considérable tant par ses connaissances que par son dévouement. Décédé en 2004, cet homme qu’on adorait cotoyé fut un modèle d’altruisme et de professionnalisme.
Installé au Québec depuis 1976, Jacques Orhon est cet autre grand bâtisseur qui succéda à son bon ami Jules Roiseux. Démarrant sa carrière d’enseignant à l’école hôtelière des Laurentides en 1981, il collabora à la mise sur pied de l’un des tout premiers cours de sommellerie crédités par le ministère de l’Éducation du Québec. Il fonda l’Association canadienne des sommeliers professionnels et en a été son président jusqu’en 2002. Auteur prolifique, on compte à ce jour neuf parutions dont certaines hautement primées dans le domaine littéraire vinicole mondiale. Ses nombreuses participations à titre de collaborateur vinaire pour plusieurs magazines, émissions de télé, conférencier et de juge invité lors de concours internationaux, en font l’un des sommeliers les plus respectés dans l’univers de vin, autant ici qu’à travers le monde. Maintenant retraité de l’enseignement, ce globe-trotter aux verbes du cœur, demeure encore aujourd’hui par le soin de sa plume et de ses diverses collaborations médiatiques, le doyen du vin au Québec.
Grâce à l’héritage considérable légué par ces deux hommes, le Québec des années ‘80 s’est ouvert sur le monde vinaire et, encore plus, sur lui-même. Ce bel accomplissement qu’est la création du terroir québécois et de ses innombrables plaisirs de la table, ont favorisé l’essor d’une industrie viticole dynamique ainsi qu’un incroyable engouement pour le divin liquide. C’est dans l’industrie de la restauration qu’on vit apparaître les premiers sommeliers et ils y gagnèrent rapidement leurs lettres de noblesse.
Toutefois, un évènement majeur qui eut lieu à Paris en 1994, créa une onde de choc sans précédent au sein de la jeune confrérie sommelière québécoise. Un jeune sommelier de Sainte-Adèle nommé François Chartier (élève de Jacques Orhon) devenait le premier canadien à remporter le prestigieux Grand Prix Sopexa du Meilleur Sommelier du Monde en Vins & Spiritueux de France. M. Chartier est maintenant reconnu mondialement pour sa contribution sur la compréhension moléculaire des accords mets et vins, en plus d’avoir inspiré toute une génération de sommelier québécois.
Cette année-là, à l’âge de 28 ans et ébahi par la nouvelle, je me mis à rêver du jour où moi aussi, j’irais vivre la vigne et le vin partout dans le monde. Dès lors, un intérêt discret, mais bien réel, m’habitait. Celui de devenir éventuellement un « gourou du vin ». Les millésimes passèrent et chaque bouteille parcourue s’imprégnait en moi comme une page d’un livre sans fin. D’un chapitre à l’autre, je savais pourtant que mon livre contiendrait ce passage à l’école du vin, et que le moment venu, ma vie en serait éventuellement guidée. Qui plus est, ces pages qui s’écrivent à l’instant se nourrissent d’une formidable proximité qui est survenue entre moi et le divin liquide. Tous ces sourires et ce langage du cœur avec lequel j’ai redéfini mon « art de vivre » m’ont permis de saisir cette inestimable prise de conscience quant à l’importance et la qualité de chaque instant. Les vibrations du vin sont prodigieuses et combien essentielles pour les humains. Et lorsqu’on s’ouvre à elles, on y redécouvre ses trésors qui trop longtemps enfouis, n’attendent qu’à être partagés. Et lorsqu’un(e) messager(ère) de la divine bouteille vous offrira de vivre l’expérience d’un vin, d’un lieu, d’un moment, sachez bien qu’en vous le souhaitant des plus mémorable, ces beaux moments le seront aussi pour elle ou lui.